La folie des marchés européens du gaz et de l’électricité

Commment on en est arrivés en quelques jours à financer la Russie, fermer nos usines, et même ruiner un peu plus EDF ?

Comme je l’ai déjà décrit dans mes précédentes publications, le jour de l’invasion de l’Ukraine, les marchés européens du gaz se sont affolés à l’idée d’une possible pénurie, les prix ont explosé, les importations de gaz de Russie ont augmenté de 30% en volume et quasiment 100% en prix. Non seulement la Russie voit ses recettes exploser au moment des sanctions, mais les premières usines françaises dépendantes du gaz commencent à fermer, comme le fabricant d’engrais Yara. Pourtant, y a-t-il une pénurie ? Pas du tout. Pour l’instant, les volumes importés augmentent.

Tout cela a aussi conduit les prix de l’électricité à exploser, avec des prix de gros qui ont atteint 400€/MWh en France cette semaine (contre en moyenne 80€/MWh en 2021 avec une forte augmentation à la fin de l’année). Pourquoi? Parce que 20% du mix électrique européen vient du gaz (mais seulement 2% dans la production française), et le prix est fixé par le coût de production de la dernière centrale qui entre en fonction. Comme la demande ne peut pas chuter de 20% d’un coup, le prix du gaz fixe le prix de l’électricité. En effet, tant que le prix rentabilisant le gaz n’est pas atteint, les centrales à gaz ne s’allument pas. Le prix de l’électricité est donc celui qui permet aux centrales à gaz d’être rentables.

Alors, je me disais dans un premier temps : bon, c’est pas si grave pour la France, puisque EDF a un coût de production très bas par rapport au marché, il va se faire plein d’argent avec les prix hauts de l’électricité, et comme EDF est quasiment public, l’Etat va pouvoir récupérer cette marge et la redistribuer (comme plus tôt dans l’année).

Eh bien MÊME pas, car ces idiots ont vendus à terme (c’est à dire ont promis de vendre à un prix convenu en avance) de l’électricité qu’ils n’avaient pas. Donc aujourd’hui EDF est obligé d’acheter de l’électricité au prix du marché et de le revendre à un prix plus bas convenu en avance. Tout à fait … Même EDF arrive à se ruiner en période de prix hauts de l’électricité.

Mais alors, si tout le monde paye, d’EDF aux consommateurs en passant par les usines, où va l’argent ? Bonne question à laquelle je n’ai pas encore toutes les réponses mais quelques pistes.

D’abord, clairement, une partie de l’argent va en Russie, avec 200 millions d’euros par jour d’importation de gaz de plus qu’avant la guerre.

Ensuite, une autre partie de l’argent va aux importateurs de gaz qui ont des contrats de long terme, soit indexés sur le prix du pétrole (une pratique à laquelle l’UE tente de mettre fin depuis plusieurs année), soit sur le prix du gaz européen (de plus en plus courant). Cela leur permet d’acheter le gaz russe à prix bas et à le revendre au prix européen sur le marché. Le reste va aux producteurs d’électricité non fossile (sauf EDF, donc qui s’est planté) qui vendent l’électricité à un prix bien plus élevé que leur coût de production.

Ces dernières semaines, les défenseurs du marché du gaz européen se sont mis en ordre de bataille, avec deux arguments principaux : 1. Sur le long terme, le marché permet de faire des économies. 2. Le « signal prix » est le seul qui peut efficacement réguler la demande. C’est-à-dire : quand il y aura moins de gaz (ce qui n’est pas le cas actuellement), il faudra une demande plus basse, et cela, d’après eux, seul un prix plus haut peut y inciter de manière rationnelle et faire en sorte que le gaz restant soit efficacement distribué à l’échelle européenne.

1. Sur le point 1, on retrouve souvent le même document de l’agence internationale de l’énergie, titré « Malgré les douleurs actuelles, les marchés du gaz libéralisés ont produit des gains de long terme. » Mais quand on y regarde plus près, on voit que les marchés ont permis depuis ONZE ans, d’après eux, 70 milliards d’économie à l’UE sur les importations, mais que … 30 milliards ont déjà été perdus par les prix hauts en deux mois fin 2021. Bref, tout porte à croire que tous les gains seront balayés par cette crise. Et encore, ce sont là les gains sur les montants importés en Europe, ce ne sont pas les gains pour le consommateur ni pour les usines … des données que je n’ai pas encore trouvées.

2. Sur le point 2, le « signal prix », c’est tout à fait controversé, pour deux raisons principales.

i. En cas de crise et de pénurie à très court terme, le signal prix est sans effet sur les consommations des ménages, en particulier sur le chauffage, car les prix sont lissés. Donc si demain on manque de gaz, le prix n’affectera pas les habitudes de consommation de chauffage pendant aux moins plusieurs semaines. Du coup, le marché va induire une fermeture d’usines plutôt que des changements d’habitude. Le seul moyen de diminuer efficacement et immédiatement la consommation des ménages, c’est la communication et le rationnement.

ii. Ce que les partisans du marché appel « efficacité de distribution des ressources », c’est l’attribution des ressources à ceux qui sont prêts à payer le plus cher. Or, là encore, est-ce que cette attribution est vraiment stratégique, en particulier en temps de crise ? Le risque est que les industries les plus productives (en Allemagne notamment), soient prêtes à payer plus chères que leur concurrence européenne. On se trouverait alors dans une situation absurde où l’industrie des pays les moins compétitifs payerait encore plus les pots cassés du manque du gaz que l’industrie allemande, alors que cette dépendance à la Russie est principalement le fait de l’Allemagne. De la même manière, comme je l’écrivais il y a quelques jours, le marché attribuerait plutôt le gaz à un riche ménage d’Europe du Nord prêt à payer beaucoup pour se chauffer qu’à un boulanger d’un pays plus pauvre qui a besoin du gaz pour continuer à son activité.

Depuis hier, les marchés se calment. Ils ne pensent plus qu’il y aura d’embargo sur le gaz russe, sans doute une mauvaise nouvelle pour l’Ukraine. Mais je pense qu’il faut vraiment qu’on se dote des moyens de reprendre la main sur ces marchés… surtout en cas d’urgence ..


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